Je suis née dans cette ville, cette ville sans fleuve, sans lac, sans mer. Immobile, j’ai attendu qu’adviennent des miracles, j’attendais que les miracles me tombent dessus. Puis, j’ai dit à quelqu’un : « Je préférerais devenir aveugle, plutôt que de te perdre ». Oui, j’ai bien dit cela. Je pensais : I’d rather go blind. I’d rather go blind. Je le répétais pour qu’il l’entende bien et pour que je l’entende moi aussi. Le temps est passé : chaque minute d’attente était un tourment, chaque point d’interrogation suscitait en moi des cauchemars, des cris, de la fièvre, des frissons ; un matin, à l’aube presque, debout devant le miroir, je me suis coupé les cheveux avec un sécateur. Je me disais « la vie est belle, et facile » ; j’ai répété ça cent fois, dans toutes les langues possibles, même dans celle que nous avions inventée, mon frère et moi, quand nous étions petits : la iv ste leb et liçaf. Puis, j’ai posé doucement le sécateur sur le bord de la tablette. Un filet de sang dessinait des méandres au fond du lavabo. Continue reading →